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L’avis des libraires - 119ème chronique : Faites vos jeux

L'avis des libraires : 119ème chronique

Faites vos jeux de Julia Richard

Loup y es-tu ?

Huit individus se réveillent dans une maison-bunker. A priori, ils n'ont rien en commun et ne se connaissent pas. Ils sont pourtant au cœur d'une mascarade bien cruelle : seules deux personnes pourront quitter les lieux.

Pour sortir, une unique porte dont il faut posséder le code. L’un des captifs est l'organisateur de ce jeu et le seul à connaître la combinaison. Le but ? Éliminer les potentiels innocents pour rester seul avec le loup, bourreau et sauveur...


Pour inaugurer le mois du Chapelier mène l'enquête, entièrement consacré au polar et à ses sous-genres, place à Faites vos jeux ! Ce thriller psychologique signé Julia Richard part d'un postulat simple : des étrangers enfermés dans un espace totalement clos sont contraints d'affronter les plus sombres facettes de l'être humain. Deux survivants et la certitude que l'investigateur à l'origine de tout cela est parmi eux... Ces huit personnes, acculées dans leurs retranchements, confrontées à leurs limites, tourmentées par leur conscience, apeurées par le danger supposé - ou réel - que représentent les autres, tiraillées par la certitude que leurs réserves de nourriture s'épuiseront tôt ou tard, rendues folles par l'épée de Damoclès suspendue constamment au dessus de leur tête vont plonger dans le plus sordide des cauchemars. Seul objectif : survivre.

Cette expérience subie par les personnages, présentée comme l'ultime test social, trouve une résonance particulière en nous tant elle nous confronte à nos propres démons, à nos peurs, à notre immoralité. L'identification aux protagonistes est poussée à son paroxysme et c'est là le premier tour de force de l'auteure : rendre ses personnages captivants quand tous, tôt ou tard, révèlent leur part d'ombre. Car - on peut aisément s'en douter - chacun va vite atteindre ses limites et se révéler antipathique, manipulateur ou dangereux !

Dès lors, une multitude de questions se pose jusqu'au dénouement. Quelle serait notre réaction dans une situation si extrême ? Serions-nous prêts à pactiser avec le loup au détriment d'innocents ? Jusqu'où sommes-nous habités par l'instinct de survie ? Quelles sont les limites de l'abnégation, du courage, de la moralité lorsque les règles qui régissent toute communauté civilisée n'ont plus leur place ?

Les alliances se créent d'un côté tandis que, de l'autre, la traîtrise naît de l'animosité et l'angoisse. Toutefois, le manichéisme n'a guère sa place dans l'intrigue : il n'y a ni héros, ni monstre au sein de cette petite bande. Tous, en revanche, ont un secret plus ou moins trouble qu'ils cherchent tant bien que mal à maintenir caché. Aussi, le ressenti du lecteur, face à chaque personnage, évoluera-t-il constamment au fil de l'intrigue : la compassion pour certains sera renforcée là où d'autres, de prime abord sympathiques, nous seront tout simplement odieux au fil des chapitres. On apprécie également l'alternance de points de vue, qui permet de se familiariser à chacun. Mathieu, Charles, Kim, Jenna, Pierre, Lise, Fabien et Roxanne... Tous sont travaillés, ils jouissent d'une personnalité complexe et riche qui rend leur basculement dans la folie et leur prise de décisions radicales d'autant plus marquants.

Chaque partie est donc centrée sur l'un d'eux et on pourrait redouter un schéma répétitif... Que l'auteure prendra un malin plaisir à détourner, contre toute attente ! Le scénario n'est jamais prévisible, de même que la construction de l'ouvrage, ce qui ne permet guère d'en deviner l'issue. Impossible de percer à jour le mécanisme de ce plan diabolique avant la conclusion, avant que chaque pièce du puzzle se soit parfaitement imbriquée.

La tension monte, crescendo, page par page, avec une précision chirurgicale. Si l'horreur est surtout psychologique, quelques scènes violentes, loin d'être gratuites, viennent renforcer l'impact du message. C'est également un autre aspect très réussi du roman : ne jamais donner dans la surenchère ou la facilité gore ! L'ambiance macabre, glauque à souhait, est également particulièrement soignée. L'ensemble doit beaucoup à la plume de Julia Richard, d'une grande fluidité, parfois lyrique et extrêmement travaillée en toutes circonstances.

Si on pense bien entendu au célèbre 10 petits nègres d'Agatha Christie (auquel les personnages font d'ailleurs référence à plusieurs reprises) ou au manga Judge de Yoshiki Tonogai, l'écrivain parvient à se distinguer de ses prédécesseurs en nous livrant une intrigue originale, effrayante et malsaine au possible...

Enfin, toujours sur la forme, on peut saluer la beauté des illustrations signées par Richard elle-même, chacune donnant une indication sur l'intimité des personnages, ainsi que le très beau travail éditorial du Héron d'Argent.

Cruel mais profondément addictif, Faites vos jeux est un huit-clos parfaitement exécuté, un pur plaisir masochiste. De quoi frissonner d'impatience en attendant le prochain ouvrage de la "louve" Julia Richard.

 

~ La Galerie des Citations ~


« Les autres mourront. »

~ p 35 / Mathieu

 

« Elle resserra son étreinte. J'étais devenu son père, celui qu'elle aurait aimé avoir. Elle devenait ma fille, celle que je n'avais jamais eue. Deux étrangers au caractère difficile, faits pour s'entendre. »

~ p 91 / Charles

 

« La sensation de mains calleuses sur ma peau nue. Une échoppe tout en longueur avec une arrière-boutique poussiéreuse et graisseuse, remplie d'objets cassés, tels des rêves brisés. Des paires de boucles d'oreilles qu'une enfant voulait faire réparer. Une broche en argent, dont l'épingle s'était dessoudée. Des babioles aimées qui se dégradaient dans le temps, comme une jeune fille à qui on ne savait plus quoi dire t qu'on laissait dépérir face à un étrange mal-être, qui la noircissait chaque jour de plus en plus. »

~ p 116 / Kim

 

« Je profitai de cette étreinte pour respirer son odeur. Étourdissante, enivrante, troublante, presque sauvage. Pourtant je discernais qu'elle était empreinte de cette senteur de poussière et de renfermé qui régnait dans toutes les pièces, comme s'il commençait à être un morceau de cette maison. On allait tous petit à petit être une entité à part entière de ce lugubre lieu. »

~ p 160 / Jenna

 

« Les femmes étaient pour moi comme des figues bien mûres et sucrées, dont la chaude saveur explose sur votre langue et suinte amoureusement dans toute votre bouche ; une envie charnelle et obsédante.

Leurs couleurs, leurs contrastes, leurs formes et leurs profondeurs complexes pétillent dans votre rétine et s'impriment dans votre cerveau avec une gourmandise défendue. Les figues ont quelque chose de tout à fait discret et pourtant intimement érotique, dès que vous les scrutez avec un peu d'attention. Leurs nuances, leur aspect mat et brillant, leurs lignes, leur élégance, leur richesse, leur chair luxuriante et juteuse sont d'une poésie et d'une insolence brutale, qui vous plongent dans une attraction chimique presque toxique. Lorsque vous en approchez, leur éclatante senteur empreint vos narines et vous fait sombrer dans une addiction dangereuse ! Et lorsque vous les touchez ! Elles ont cette peau douce, un peu ferme, qui glisse sous vos doigts et vous hurle silencieusement de les saisir plus fermement et de les ouvrir en deux pour les goûter. »

~ p 219 / Pierre

 

« Ma vie était d'un ennui, une routine parsemée de quelques éclats surprenants. Ma vie me faisait penser à l'espace : vide, froid... tacheté de quelques lueurs. Et puis une supernova était née.

Oui, ça illustrait parfaitement tout ça : on croît souvent que les supernovas correspondent à l'apparition d'une étoile, alors qu'en fait il ne s'agit que de la mort d'une étoile. »

~ p 257 / Lise

 

« Sincèrement, ça me peinait d'avoir à les tuer... Et ça me peinait de sentir que malgré tout, je ne pensais pas en avoir la force. »

~ p 285 / Fabien

 

« Pourrais-je seulement réussir à continuer de vivre ? Peut-on guérir de ce genre d'expérience ? Que devenaient toutes ces filles séquestrées et libérées après des années ? Qu'advenait-il de tous les prisonniers de guerre ? Se fondaient-ils dans la masse, ou bien disparaissaient-ils du monde réel ? Je ne voulais pas être transparente, je ne l'avais jamais voulu. Je voulais briller, qu'on se rappelle de moi, graver mon empreinte, marquer mon temps. Je ne voulais pas forcément être une idole ou un exemple à suivre, juste exister aux yeux du monde. Me retrouver dans cet enfer, j'en garderais jalousement une fierté arrogante. Être celle à qui il était arrivé quelque chose d'extraordinaire, quelque chose d'unique qui me différencie, me donne de la valeur et force la reconnaissance. Oui, me retrouver enlisée dans ce scénario cruel était la rançon de mon identité exprimée. »

~ p 327 / Roxanne

 

Julia Richard, Faites vos jeux aux Éditions Le Héron d'Argent. 373 pages. 20 €

Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 02.04.2019

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